
5 questions à Patrick Bard sur son dernier roman, Dopamine !
Découvrez l'interview de Patrick Bard autour de l'écriture de son dernier roman percutant, Dopamine, dans lequel le corps d'une jeune fille de quatorze ans est retrouvé dans la Marne. Ses meurtriers, très vite identifiés, sont deux camarades de classe. Qui aurait pu dire qu'ils étaient capables de tuer ? A découvrir dès le 25 août.
• Votre roman s'ouvre sur la scène d'un crime effarant : un garçon et une fille de 15 ans ont tué une camarade de classe de 14 ans, pratiquement sans mobile. D'où vous est venue l'idée de ce point de départ ?
Le roman s'inspire de façon très libre d'un fait divers qui m'a sidéré et m'a donné envie d'en appréhender l'inexplicable, tout en me réappropriant totalement les protagonistes du drame et leur histoire. L'idée n'était en rien de documenter ce drame mais, à partir de celui-ci, d'inventer des personnages romanesques sortis de mon imaginaire et de les faire vivre pour donner à comprendre l'incompréhensible. Nul ne naît en étant un monstre. Mais on peut le devenir, et la question est de savoir quels chemins mènent à la barbarie. Dopamine est également - surtout ? - un roman sur l'addiction, sur les addictions en général et sur ce en quoi elles sont constitutives de la condition humaine.
• Parlez-nous des personnages des deux meurtriers que vous avez crées. Leurs histoires personnelles sont différentes, qu'est-ce qui les rapproche néanmoins ?
Ce qui les rapproche, ce sont des histoires familiales tourmentées, des enfances blessées. Emma et Enzo sont des grands brûlés de la vie qui, pour se protéger, ont anesthésié leur capacité à ressentir, se sont littéralement coupés de leurs émotions. Ils se sont également retranchés derrière des addictions multiples - réseaux sociaux, jeux vidéos en ligne, cigarette, mondes virtuels -, et répondent à la violence du monde par leur propre violence, sous forme de harcèlement ou pire. Ce qui les rapproche enfin est une autre forme d'addiction, à savoir une relation dévorante et toxique, qui conduit à la dépendance mutuelle.
• Avant sa rencontre avec Emma, Enzo a vécu une histoire d'amour virtuelle et fictive avec une intelligence artificielle, dont il lui a été très difficile de se détacher : ces IA destinées à combler le vide amoureux existent-elles vraiment ?
Oui. J'ai découvert leur existence à l'issue des confinements successifs. Le phénomène des girlfriends et boyfriends virtuels st en plein développement et touche aussi bien les ados que les adultes. Il répond à un syndrôme de solitude aggravé par la pandémie. L'une de ces applications compte aujourd'hui plus de 10 millions d'utilisateurs dans le monde. Le cerveau humain n'est pas toujours capable de faire la différence entre ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas, notamment pour ce qui relève de l'attachement et des addictions. J'ai été stupéfait de voir le niveau de sophistication atteint par des IA, qui apprennent par elles-mêmes et imitent si bien les sentiments humains. J'ose à peine imaginer où nous en seront dans 5 ans.
• De nombreux chapitres se passent dans le bureau du juge d'instruction. Quel rôle donnez-vous à ce personnage, d'un point de vue narratif ?
Je viens du polar. Dans le polar, c'est souvent le policier, le détective ou le journaliste qui guide le lecteur à travers le récit. Ici, c'est le juge qui tient ce rôle... Il est le lien entre tous les protagonistes du drame dans toute la première partie du roman. La seconde partie nous enferme dans le monde d'Emma et Enzo, et nous retrouvons le juge à la fin pour clore l'histoire. Il encadre ainsi le huit clos Emma/Enzo par deux parties distinctes.
• Pourquoi avez-vous choisi le titre de Dopamine ? En quoi la dopamine influence-t-elle la destinée des êtres humains ?
On a longtemps pensé que la dopamine était la molécule du plaisir. C'est celle du désir. C'est la molécule du "assez n'est jamais assez". Celle qui nous fait aller sur la Lune, en haut de la plus haute montagne, mais qui nous fait aussi consommer toujours plus, sans limites. La dopamine est une récompense sécrétée sous l'impulsion de notre cerveau primitif. Elle nous a été indispensable pour survivre en tant qu'espèce quand nous sommes devenus des chasseurs, des prédateurs, pour nous donner le goût de la traque, de la quête. Mais cette partie de notre cerveau n'a pas chaangé depuis la préhistoire.
Or, le moins qu'on puisse dire, c'est que le monde d'aujourd'hui, qui nous submerge d'informations et de gratifications faciles à coups de "like", n'est plus le même. Le cerveau primitif prend alors le pas sur notre capacité de réflexion, de prise de recul, gérées, elles, par notre cerveau frontal. Au point que nos propres actes peuvent sembler sans réalité, et leurs conséquences inexistantes : c'est là l'expérience terrifiante que vivent Emma et Enzo.
L'auteur
Patrick Bard est romancier, écrivain-voyageur et photojournaliste. Les frontières et la question des femmes sont au centre de son travail. Aux éditions Syros, il est l'auteur de Et mes yeux se sont fermés, de POV et Le secret de Mona.
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