Little Sister - 4 questions à Benoît Séverac
#1 La force de votre roman tient à la fraîcheur de Lena, une adolescente très normale malgré ses blessures. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?
Dans Little Sister, Lena est la victime ignorante et innocente d’un drame qui a transformé son existence ainsi que celle de sa famille. Elle vivait à Toulouse avec ses parents et son frère, elle allait au collège, elle était heureuse, tout allait bien dans sa vie, quand soudain tout bascule : en quelques heures, son frère devient l’ennemi public numéro 1. Le roman se situe quatre ans après ce traumatisme. Lena veut réapprendre à vivre en refusant l’apathie dont ses parents n’arrivent pas à s’extraire. Pour cela, elle va devoir répondre à une question centrale : Peut-on et doit-on continuer à aimer un frère devenu terroriste ? Comme souvent dans mes romans, je ne donne pas la réponse. Le lecteur doit faire son chemin.
#2 Little Sister aborde en effet un sujet brûlant. Qu’est-ce qui vous a amené à écrire cette histoire ?
L’idée de parler de ces jeunes qui se convertissent à l’islam radical comme on pouvait, à une autre époque, être attiré par les théories fascistes (malheureusement, c’est toujours d’actualité), m’est venue à l’occasion des assassinats perpétrés par Mohamed Merah à Montauban et Toulouse en 2012. Sachant que j’écrivais des romans policiers, une journaliste m’a contacté à l’époque pour me demander en quoi mon travail de romancier pourrait s’inspirer de ces tragédies. J’ai répondu que j’étais plus intéressé par les victimes que par le meurtrier. Or, je considère que les proches d’un jeune Français qui se radicalise et fait parler de lui en donnant la mort, et en la trouvant à son tour, devraient être considérés comme des victimes collatérales de ces drames. La famille Merah, à ce titre, pouvait représenter un intérêt pour un auteur de littérature noire. Dans les propos que j’avais tenus à cette journaliste, j’avais évoqué le personnage fictif de la petite sœur du terroriste, sans me douter que Mohamed Merah avait effectivement une sœur dont on apprendrait plus tard son engagement dans le djihad. Mon exemple était donc mal choisi ! Malgré tout, l’idée d’aborder ce thème par la bande, c’est-à-dire sans parler directement des djihadistes à qui les journaux font déjà la part belle, ne m’a pas quitté. J’ajouterai qu’il n’est pas étonnant que les auteurs de littérature noire, que ce soit en littérature adulte ou jeunesse, s’emparent de l’actualité quand elle est symptomatique d’une vague de fond dans la société. Les faits divers n’apportent rien en soi, les faits révélateurs de phénomènes plus globaux, si. C’est le rôle du roman noir de transcender le réel pour en donner une interprétation, une vision, et peut-être, parfois, des clefs.
#3 Vous avez choisi de faire entre les voix de quatre personnages très différents au fil de votre récit. Quel est l’apport de chacun d’entre eux ?
En effet, c’est un roman choral. C’est la première fois que je me prête à cet exercice. Ce ne fut pas un choix, la forme s’est imposée d’elle-même. Théo, l’ami et bientôt petit ami de Lena, apporte un regard extérieur sur mon héroïne. Il relance également l’action à un moment charnière. Joan, le vieil anarchiste catalan qui se laisse embarquer dans cette histoire, permet je crois de faire un parallèle (pour mieux les distinguer) entre les grands mouvements de résistance du XXe siècle (contre les Nazis en 39-45, contre Franco un peu plus tard, etc…) et ceux qui voudraient se faire passer pour des libérateurs en Syrie, en Irak et ailleurs. Enfin, Tambon, le policier toulousain de la DGSI, constitue un personnage épilogue qui ramène tout ce petit monde à la réalité. Quoi qu’il en soit, il n’a jamais été question pour moi, dès le départ, de donner la parole au frère de Léna. Je ne le condamne pas en bloc, je ne le juge même pas, je donne la possibilité à sa sœur de continuer à l’aimer malgré tout, mais j’ai refusé de lui accorder une tribune.
#4 Votre roman évoque un road-movie qui aurait pour moteur l’amour fraternel, mais c’est aussi l’histoire d’un amour naissant entre deux jeunes adultes… Que représente Théo aux yeux de Léna ?
C’est vieux comme le monde. Théo représente l’amour que l’on se choisit après l’amour que la vie vous a « imposé », celui de vos parents. Dans le cas de Lena, ses parents ne parviennent plus à donner à leur fille ce dont une adolescente a besoin : confiance en soi, légèreté, réconfort, amour de la vie, envie de la croquer à pleines dents. Lena doit aller puiser tout cela ailleurs, chez son frère (ça ne se révèlera pas une solution opportune), chez Théo, chez son oncle et sa tante ; mais surtout en elle ! Little Sister, indubitablement, a une dimension initiatique.